Le festin nu – William Burroughs en mal d’aurore ?
Tout d’abord, on peut s’étonner que ce livre soit classé par les éditions folio dans la rubrique « SF ». On est à mon avis plus proche du roman poétique ou surréaliste, mais enfin cela reste au final des étiquettes…
William Burroughs a manifestement pris au mot Rimbaud qui indiquait en prélude d’ « Une saison en Enfer » d’« avaler une fameuse gorgée de poison » Il en a même fait le mot d’ordre de son existence en plongeant dans le monde des junkies et autres marginaux. « Le festin nu » se veut donc le témoignage de ce périple en contrée empoisonnée.
Je suis habituellement méfiant par rapport à l’univers de la drogue, tant ce genre d’expérience est devenu banal. Comme pour l’alcool, c’est effectivement aujourd’hui celui qui n’a jamais « consommé » qui est regardé comme étrange, tant cela semble maintenant naturel dans toute réunion festive et autre rassemblements grégaires. Comme tout ce qui est banalisé, cela perd beaucoup de son intérêt.
Alors, il faut dire tout de suite qu’avec Burroughs on se place à des années lumières de ses mœurs si « convenues » pour pénétrer dans l’univers de ceux qui se sont jetés à corps perdu dans l’univers de la drogue. Le résultat en est donc forcément plus intéressant, surtout quand tout cela est exprimé avec le génie d’un Burroughs.
Suite de « visions » plus hallucinées les unes que les autres, le lecteur est malmené et très souvent conduit dans des univers férocement subversifs et malsains. Voici d’ailleurs ce qu’écrit Burroughs à la fin de son livre :
Gentil Lecteur, le verbe va se ruer sur toi, te broyer avec ses griffes d’homme-léopard, t’arracher doigts et orteils comme on fait aux crabes opportunistes, te pendre au gibet et happer ton foutre comme un chien scrutable, s’enrouler autour de tes cuisses à la manière d’un crotale et te seringuer un dé à coudre d’ectoplasme ranci…
Peut-être aurait-il été préférable de placer cette mise en garde aux lecteurs en préambule de son œuvre, tant elle décrit bien ce qui vous y attend !
Je ne me souviens avoir lu quelque chose de comparable que dans « Les chants de Maldoror » de Lautréamont. Il y a même de quoi s’étonner qu’un tel texte puisse être en libre diffusion dans nos sociétés si politiquement correctes. L’auteur a d’ailleurs été poursuivi pour « obscénité » aux États-Unis peu de temps après sa publication…
Il faut aussi prévenir ceux qui comme moi ont connu le « Festin nu » par l’interprétation cinématographique qu’en a donnée David Cronenberg, que le film est bien différent du roman. On y retrouve bien le côté décalé, surréaliste, la suite de scènes entre lesquelles on ne trouve pas forcément de lien clair… mais le scénario est très éloigné du roman qui semble plus avoir été une source d’inspiration qu’autre chose. Ceci n’est pas une critique négative du film que j’ai trouvé excellent, mais il ne faut pas s’attaquer au roman en espérant y retrouver le scénario du film ou encore des explications…
Bref, si vous aimez la littérature qui vous prend aux tripes, remet en cause toutes vos certitudes en explosant les bornes du réel, courrez vous procurer ce livre qui vous est définitivement destiné !