Raymond Queneau « Exercices de style »
« Exercices de style » est un livre pour le moins atypique puisque contant de 99 manières différentes la même histoire. Sans doute un classique des ateliers d’écriture, pouvant servir de modèle à tout aspirant écrivain, souhaitant s’exercer aux « contraintes littéraires ». Passé ce contexte, on peut quand même se demander l’intérêt de l’ouvrage, cette fois pour le lecteur ?
Qu’un écrivain puisse ainsi vouloir s’exercer est tout à fait compréhensible, ce qui l’est moins à mon avis c’est le fait publier ce genre de textes ? Du moins tous, sans filtrer leur qualité.
Cela reviendrait à transformer en spectacles les séances d’entrainement d’un athlète, en lieu et place de ses compétitions.
Le problème n’est pas de savoir s’il s’agit ou non de « littérature » mais de se poser la question de l’intérêt pour le lecteur à part de s’« amuser » (et encore) de ces différentes façons d’écrire une même histoire, par ailleurs tout ce qu’il y a de plus anodine.
Quelles émotions, quelles idées sont transmises ? Quelle musicalité trouve-t-on dans cette suite de textes, au final assez ennuyeux ?
De plus on trouve certaines redondances d’un texte à l’autre qui ne sont pas justifiées par l’histoire servant de base aux différents récits. Par exemple, le côté péjoratif de la description du camarade conseillant au personnage principal de remonter le bouton de son pardessus.
Il faut avouer que quelques textes sont assez amusants, par exemple lorsque l’auteur donne dans les jeux de mots, ou encore intéressants lorsqu’il met en lumière le côté subjectif du récit, mais beaucoup semblent tirés par les cheveux et présagent certaines dérives de la poésie moderne n’ayant plus ni fond, ni forme, ni musicalité…
Mais puisque le contenu de cet ouvrage est entièrement disponible en ligne, le mieux est que vous preniez le temps de le lire pour vous faire votre propre avis.
Voici deux versions assez amusantes du récit que j’ai pour ma part retenues :
Distinguo
Dans un autobus (qu’il ne faut pas prendre pour un autre obus), je vis (et pas avec une vis) un personnage (qui ne perd son âge) coiffé d’un chapeau (pas d’une peau de chat) cerné d’un fil tressé (et non de tril fessé). Il possédait (et non pot cédait) un long cou (et pas un loup con). Comme la foule se bousculait (non que la boule se fousculât), un nouveau voyageur (et non veau nouillageur) déplaça le susdit (et non suça ledit plat). Cestuy râla (et non cette huître hala), mais voyant une place libre (et non ployant une vache ivre) s’y précipita (et non si près s’y piqua).
Plus tard je l’aperçus (non pas gel à peine su) devant la gare Saint-Lazare (et non là où l’hagard ceint le hasard) qui parlait avec un copain (il n’écopait pas d’un pralin) au sujet d’un bouton de son manteau (qu’il ne faut pas confondre avec le bout haut de son menton).
Antonymique
Minuit. Il pleut. Les autobus passent presque vides. Sur le capot d’un AI du côté de la Bastille, un vieillard qui a la tête rentrée dans les épaules et ne porte pas de chapeau remercie une dame placée très loin de lui parce qu’elle lui caresse les mains. Puis il va se mettre debout sur les genoux d’un monsieur qui occupe toujours sa place.
Deux heures plus tôt, derrière la gare de Lyon, ce vieillard se bouchait les oreilles pour ne pas entendre un clochard qui se refusait à dire qu’il lui fallait descendre d’un cran le bouton inférieur de son caleçon.