Shakespeare « Roméo et Juliette »
C’est la première œuvre de théâtre dont je parle sur ce blog et pas la moindre puisque c’est celle la plus jouée au monde ! Mais après tout, est-ce que tout roman n’attend-il pas lui aussi d’être interprété via une pièce de théâtre ou encore un film ? Et tout poème n’attend-il pas d’être lu ou chanté en public ? Quant à la philosophie, c’est à nous de lui donner vie par notre existence !
Je dois dire que je n’ai pas lu cette œuvre en anglais mais quand on sait que c’est Victor Hugo qui a assuré la traduction, on peut se dire qu’il s’agit d’une moindre perte ou du moins ce que j’ai perdu d’un côté je l’ai sans doute gagné de l’autre…
Le texte est précédé d’une note historique de Philarète Chasles datant de 1843 qui rappelait entre autres les différentes versions de ce texte qui est passé entre plusieurs mains, plus ou moins habiles, depuis le conte italien originel jusqu’à l’œuvre finale de Shakespeare. Heureusement qu’il n’y avait pas de « copyright » pour « protéger » ce texte !
Ceci dit ces histoires d’amours contrariés entre jeunes gens du fait de contraintes familiales et sociales remontent à bien plus loin. Je pense au mythe de « Pyrame et Thisbé » dont Ovide nous donne une version dans ses « Métamorphoses ».
Et cette même trame n’a sans doute pas fini d’être réinterprétée par de nouveaux écrivains au fil des générations…
Si dans l’imaginaire collectif ce texte peut être une référence « romantique » du fait de sa thématique amoureuse, il faut rappeler qu’il s’agit avant tout d’un drame, Shakespeare avec son génie nous faisant passer de la comédie à la tragédie avec même un final quelque peu « rocambolesque » avant l’heure de par ses enchainements.
Vous pouvez lire ce texte dans son intégralité sur « In Libro Veritas », mais voici quelques morceaux choisis :
Acte II – Scène II
ROMÉO. – Il se rit des plaies, celui qui n’a jamais reçu de blessures ! (Apercevant Juliette qui apparaît à une fenêtre.) Mais doucement ! Quelle lumière jaillit par cette fenêtre ?
Voilà l’Orient, et Juliette est le soleil ! Lève-toi, belle aurore, et tue la lune jalouse, qui déjà languit et pâlit de douleur parce que toi, sa prêtresse, tu es plus belle qu’elle-même ! Ne sois plus sa prêtresse, puisqu’elle est jalouse de toi ; sa livrée de vestale est maladive et blême, et les folles seules la portent : rejette-la !… Voilà ma dame ! Oh ! voilà mon amour ! Oh ! si elle pouvait le savoir !… Que dit-elle ? Rien… Elle se tait…
Mais non ; son regard parle, et je veux lui répondre… Ce n’est pas à moi qu’elle s’adresse. Deux des plus belles étoiles du ciel, ayant affaire ailleurs, adjurent ses yeux de vouloir bien resplendir dans leur sphère jusqu’à ce qu’elles reviennent.
Ah ! si les étoiles se substituaient à ses yeux, en même temps que ses yeux aux étoiles, le seul éclat de ses joues ferait pâlir la clarté des astres, comme le grand jour, une lampe ; et ses yeux, du haut du ciel, darderaient une telle lumière à travers les régions aériennes, que les oiseaux chanteraient, croyant que la nuit n’est plus. Voyez comme elle appuie sa joue sur sa main ! Oh ! que ne suis-je le gant de cette main ! Je toucherais sa joue !
[…]
JULIETTE. – Rien que pour être généreuse et te le donner encore. Mais je désire un bonheur que j’ai déjà : ma libéralité est aussi illimitée que la mer, et mon amour aussi profond : plus je te donne, plus il me reste, car l’une et l’autre sont infinis.
[…]
ROMÉO, seul. – Que le sommeil se fixe sur tes yeux et la paix dans ton cœur ! Je voudrais être le sommeil et la paix, pour reposer si délicieusement !
Acte III – Scène II
JULIETTE. – ô cœur reptile caché sous la beauté en fleur !
Jamais dragon occupa-t-il une caverne si splendide ! Gracieux amant ! démon angélique ! corbeau aux plumes de colombe ! agneau ravisseur de loups ! méprisable substance d’une forme divine ! Juste l’opposé de ce que tu sembles être justement, saint damné, noble misérable ! ô nature, à quoi réservais-tu l’enfer quand tu reléguas l’esprit d’un démon dans le paradis mortel d’un corps si exquis ?
Acte IV – Scène Première
JULIETTE. – Oh ! plutôt que d’épouser Pâris, dis-moi de m’élancer des créneaux de cette tour là-bas, ou d’errer sur le chemin des bandits ; dis-moi de me glisser où rampent des serpents ; enchaîne-moi avec des ours rugissants ; enferme-moi, la nuit, dans un charnier, sous un monceau d’os de morts qui s’entrechoquent, de moignons fétides et de crânes jaunes et décharnés ; dis-moi d’aller, dans une fosse fraîche remuée, m’enfouir sous le linceul avec un mort ; ordonne-moi des choses dont le seul récit me faisait trembler et je les ferai sans crainte, sans hésitation, pour rester l’épouse sans tache de mon doux bien-aimé.