Emmanuel Mounier – Traité du caractère
C’est une version abrégée d’environs un tiers de l’œuvre d’origine d’Emmanuel Mounier dont je viens de finir la lecture, cette version ayant été publiée en 1973 c’est-à-dire 30 ans après la version complète.
Elle a été dépouillée de certaines parties qui dans les années 70 déjà paraissaient obsolètes, cette opération ayant été effectuée par Paulette Mounier.
Selon ses propres dires, le texte devient ainsi plus un « essai » qu’un « traité ».
Espérons que l’esprit de l’œuvre originale n’a pas été modifié durant cette manipulation.
J’ai découvert Mounier lors de la lecture d’un autre de ses ouvrages nommé « Introduction aux existentialismes » qui m’avait permis d’apprécier son style clair et pédagogique, facilitant la compréhension de ce thème pour le moins complexe.
Dans l’ensemble, j’ai retrouvé cette clarté dans ce « Traité du caractère » même si on y retrouve à l’occasion quelques expressions en latin ou grecque dans le texte dont on pourrait sans doute se passer… Mais cela semble une lubie chez les philosophes de vouloir réserver leurs écrits aux latinistes et autres hellénistes.
Sur le fond ce traité se situe entre philosophie et psychologie ou plus exactement traite de psychologie sous un angle philosophique qui est celui du personnalisme, dont Mounier est le précurseur.
Si j’ai certaines réticences concernant la psychologie quand elle se donne des faux airs de science exacte, elles disparaissent complètement dès lors que le problème est abordé sous l’angle du discours philosophique et donc de la libre pensée.
Cela est encore plus vrai quand dans le cas de Mounier, cette philosophie affirme de premier abord le mystère intime de l’esprit humain.
Mounier est un penseur chrétien et cela se ressent quand il place une réalité transcendantale à l’origine de ce mystère.
Pour ma part je n’y vois que le résultat de la complexité de la réalité humaine qui la rend imprévisible (et donc « libre »), mais on voit que deux visions radicalement opposées peuvent finir par se rejoindre dans leurs conclusions.
Malgré ce mystère personnel, il n’est pas interdit d’essayer de définir le caractère d’un individu.
En décrivant les caractéristiques physiques d’une personne (taille, couleur des cheveux, etc.), je vous permets de l’imaginer avec plus ou moins de précision, cette description ne valant évidemment pas un portrait bien réel de la personne en question.
Pour sa personnalité, il en va de même, chacune des caractéristiques (primaire / secondaire, introverti / extraverti, actif / non actif, émotif, non émotif, etc.) peut paraître caricaturale séparément mais en se cumulant, elles nous permettent d’exprimer une image assez fidèle de cette personnalité.
Tout cela en gardant à l’esprit toutes les nuances nécessaires à l’exercice – une personne étant tantôt ceci et tantôt l’inverse – ainsi que le côté phœnix de l’esprit humain capable de se transformer en profondeur que cela soit provoqué directement par un événement de son existence ou que cela survienne apparemment de manière spontanée.
En se lançant ainsi dans une description de l’esprit humain, de ses bases à son interaction avec son environnement (avec des thèmes tels que « accueil vital », « lutte pour le réel », « affirmation du moi », etc.), Mounier aborde les différentes facettes de l’existence humaine.
Au-delà d’une simple description, il émet nécessairement des jugements de valeur et si je ne partage pas toutes ses prises de position, je ne lui les reproche pas, car il agit ainsi en tant que philosophe, et je n’attends pas d’un penseur honnête qu’il me caresse dans le sens des préjugés. J’en attends même tout le contraire, pour peu qu’il le fasse de manière intelligente.
Néanmoins, il est difficile de lire un ouvrage traitant de psychologie en gardant un regard extérieur et objectif et on aura toujours tendance à se sentir concerné par ses propositions tant dans notre réflexion sur nous-même que dans notre réflexion plus générale sur la réalité humaine. Aussi ses jugements de valeur peuvent-ils être ressentis ici plus vivement qu’ailleurs.
Il faut aussi préciser que si Mounier est un penseur chrétien, ces jugements de valeur sont loin de rejoindre une morale mièvre et morbide, qu’il dénonce même avec énergie.
On peut d’ailleurs s’amuser de le voir citer régulièrement du Nietzsche, mais là encore, il semble que des oppositions de fond n’empêchent pas de se retrouver sur certains points à un niveau existentiel.
Voici quelques citations et extraits de l’ouvrage
« S’il n’est de science que du général, si l’individu est ineffable, la seule connaissance communicable qui puisse être formulée sur l’individu est d’ordre générique. La psychologie spontanée qui s’exprime dans le langage, le folklore et la littérature, forme constamment des types avec le sable mouvant des individualités. »
« On peut donc dire en un sens que tout type est un type négatif. Le caractère est comme le dessin de l’échec de la personnalité. Nous ne sommes typiques que dans la mesure où nous manquons à être pleinement personnels. »
« Éliminer l’effort vers la détermination, ce serait livrer la science du caractère à la confusion et l’avenir des caractères aux lâchetés qui naissent des relâchements de l’esprit. En éliminer le mystère, ce serait se condamner à supprimer de notre expérience les actes irrationnels, les irruptions de liberté et de grâce, les crises, les rencontres, les partages dramatiques qui en font le goût et le prix. »
« On étonnerait bien des justes et des hommes d’ordre si sous leur plus noble masque on leur découvrait le visage affreux de cette avarice. Ils s’estiment corrects avec la vie parce qu’ils n’attendent rien d’elle et ne lui demandent pas de privilèges extraordinaires. Cette modération raisonnable est précisément une conduite insensée dans un monde dont la texture est promesse et surabondance. Son mystère ruisselle autour d’eux d’avances inouïes, de propositions miraculeuses, et ils enfoncent le nez, pour s’y conduire, dans des règlements de voirie. Leurs rapports de stricte équivalence avec autrui, leur garde constante contre la spontanéité, contre la surprise, contre l’énigme, contre l’aventure, contre le geste fou qui ferait éclater leur univers de calculeux font d’eux, plus que des malingres : le plus odieux produit, peut-être, de la complication des puissances de mort dans une civilisation qui les a multipliées sous de faux noms à l’égal des puissances de vie. »
« La seule preuve d’un homme, ce sont ses actes. La valeur de ses paroles, l’authenticité de ses pensées ne se révèlent irréfutablement que dans la confirmation qu’ils leur apportent. C’est que nous sommes jetés dans l’action avant de réfléchir sur l’action, poussés par l’urgence avant de délibérer. Nos actes reflètent en outre les moindres nuances de notre équilibre psycho-organique. »
« La décision n’est pas, en effet, un acte dans la personne, elle est la personne en acte, tout entière concentrée sur une affirmation créatrice de bien ou de mal, de vérité ou d’erreur ; elle est la personne répondant « présent » à un appel du monde et s’engageant à la vie et à la mort dans la réponse qu’elle lui donne. »
« Les refus que l’adolescent projette de toutes parts sont une ascèse explosive où déborde déjà l’amour des valeurs positives qu’il appelle au milieu de sa fureur sacrée. C’est que, dans la pensée vivante, l’opposition ne subsiste pas à l’état isolé, mais seulement en relation avec une affirmation actuelle ou naissante. »