Utopie du logiciel libre de Sébastien Broca
Quelques commentaires suite à la lecture de l'essai "Utopie du logiciel libre" de Sébastien Broca, regard d'un sociologue sur le monde des libristes et autres hackers.
Les essais sur les libristes / hackers ne sont pas légion, surtout en langue française et écrits par des non-informaticiens.
Rien que pour cela, l'ouvrage de Sébastien Broco mérite d'être salué ! Car si le sujet peut sembler très technique, il concerne en fait tout un chacun dans sa vie numérique.
Son regard de sociologue est intéressant et on sent qu'il a mené ses investigations avec sérieux. Mais le sujet est complexe et difficile à cerner, chaque libriste ayant une vision du libre, bien différente.
Si le libre a un "papa" en la personne de Richard Stallman qui a un discours assez clair, chaque libriste s'approprie cet héritage, cette attitude d'appropriation étant au cœur même de la philosophie libriste.
Si vous venez d'acquérir un logiciel libre, vous avez rigoureusement les mêmes droits à son égard que tout autre utilisateur, y compris les personnes ayant passé des jours et des jours à le développer. Vous pouvez l'utiliser, étudier son fonctionnement, le modifier et le diffuser librement, sans demander l'accord de qui que ce soit.
Et cela ne se limite pas aux logiciels. L'auteur a eu raison de citer l'exemple de Wikipédia, vous donnant ces mêmes libertés dans le domaine de la culture. Vous le trouvez aussi sur des œuvres artistiques, littéraires.. via des licences telles que certaines "creatives commons".
Sébastien Bocca expose certaines divergences du milieu hacker, notamment entre les adeptes du logiciel libre à strictement parler et du logiciel "open source". Il montre avec justesse que les deuxièmes quand ils se prétendent plus pragmatiques, ont en fait une attitude tout aussi idéologique que les premiers. Mais n'est-ce que pas vrai de la majorité des adeptes du "pragmatisme" en politique, faux-nez de leur accord avec le système tel qu'il est et auquel il serait donc sage de se soumettre ?
L'auteur sait aussi mettre en lumière certaines contradictions propres aux libristes, telles que ce goût de l'excellence technique, tendant à rendre difficilement accessible leur code aux amateurs même confirmés. Le livre est ouvert... mais qui est vraiment capable de lire et comprendre son contenu ?
Le problème important du financement des créations libres (ou copyleft) est aussi abordé avec son rapport épineux avec la velléité d'autonomie des libristes, difficile à faire coïncider avec des logiques salariales, ou même simplement de rentabilité...
L'essai est disponible sur le site de son éditeur Le passager clandestin.
Je termine en partageant deux citations :
Comme le résumait en 2010 Cory Doctorow, blogueur influent et membre de l'Electronic Frontier Foundation, "offrir un iPad à vos enfants, ce n'est pas un moyen de leur faire comprendre qu'ils peuvent démonter et réassembler le monde autour d'eux. C'est un moyen de leur dire que même changer les piles c'est une affaire de pros".
De nombreux libristes détestent pour cette raison être confondus avec ceux qu'ils nomment péjorativement les geeks, c'est-à-dire les consommateurs de technologies prêts à s'extasier pour n'importe quelle innovation pourvu qu'elle soit "tendances" et à acheter n'importe quel objet technique pourvu qu'il soit "performant".
Faire de la politique autrement : le refrain peut prêter à sourire. On est pourtant tenté de l’entonner à nouveau, en songeant qu'il y a peu à attendre de nos représentants mais que le refus d'affronter la question du pouvoir a trop souvent raboté les ambitions collectives. La politique manque à la fois de bricoleurs et de visionnaires. En tant qu'ils sont un peu des deux, les hackers ont de bonnes raisons de s'y consacrer.